Né en 1901, c’est après une courte formation
militaire à Saint-Cyr en 1923, qu’il réussit
le concours d’administration civile de l’inspection
coloniale de l’ENFOM.
Constant Sorin est affecté en Guadeloupe le 30 avril 1940,
soit juste 10 jours avant la débâcle française;
par G. Mandel, ministre de la troisième république.
Lorsqu’il rejoint son poste, le nouvel administrateur est
placé sous l’autorité exceptionnelle de l’amiral
Georges Robert, « Haut-commissaire aux Colonies ».
Cet homme autoritaire et pétainiste convaincu est basé
en Martinique. Il se fera une triste réputation, égale
à celle Sorin en Guadeloupe.
Le 17 juin 1940, lorsque le maréchal Pétain fait
part de son intention d’entrer en pourparler avec l’armée
allemande.
Constant Sorin, nouvellement nommé, refuse de se rallier.
Dans un discours plein d’emphase, il assure ne pas vouloir
collaborer avec l’ennemi.
Mais ces velléités de résistance à
l’armistice sont très mal vues par l’amiral
Robert qui dépêche en Guadeloupe l’amiral Rouyer,
commandant du croiseur « La Jeanne d’Arc »,
chargé de le surveiller de près. La politique de
Sorin a sans doute été très influencée
par la présence de ce personnage fidèle au maréchal,
dans la rade de Pointe-à-Pitre, pendant tout son mandat.
L’équipage de la « Jeanne d’Arc »,
véritable milice de répression, laissera de très
mauvais souvenirs à la population à cause de nombreux
accrochages et de multiples actes de violence.
Sous la haute surveillance de l’amiral Rouyer, Sorin n’est
pas en position de force. Dépité, il rentre dans
les rangs de l’amiral et de Vichy. Il déclare alors
solennellement à la population l’importance d’obéir
au maréchal, dont dépend son salut.
Ce revirement lui ôte toute crédibilité devant
les élites locales qu’il aura ensuite du mal à
maîtriser.
Après cet épisode remettant en cause son autorité,
quelques observateurs de l’époque lui reprochent
d’avoir exécuté, de manière aveugle
et cruelle, les directives du maréchal Pétain et
de sa « Révolution nationale ».
Pour renforcer son pouvoir, le gouverneur va s’adonner
à un « nettoyage » des fonctions administratives.
Dès le mois d’octobre 1940, Sorin fait démissionner
de nombreux élus, conseillers généraux, syndicalistes
et maires, au profit de « collaborationnistes ». En
France hexagonale, on les appellent les « collabos ».
Dans cette période troublée sur tout le territoire
national, les personnalités politiques manifestant publiquement
leur désapprobation à la politique du maréchal
ou, pire, un soutien à l’appel de résistance
du général de Gaulle, sont démises de leur
fonction. Mais, en Guadeloupe, ces mesures prennent une tournure
raciste avec les lois et les valeurs décrétées
par le régime de Vichy.
« L’illusion de l’égalité...
»
Appliqués par le gouverneur, les principes de Vichy trouvent
un écho particulier dans les territoires colonisés.
Lors de son discours du 11 octobre 1940 présentant la «
Révolution nationale », le maréchal Pétain
déclare l’abolition de « l’illusion de
l’égalité des hommes », sur laquelle
reposait la troisième République, au profit de nouvelles
valeurs : « Travail, Famille, Patrie ».
La « hiérarchisation naturelle » de la société
doit désormais servir à l’émergence
de nouvelles élites excluant juifs, communistes, francs-maçons,
Noirs, homosexuels, malades mentaux et autres groupes considérées
comme des parias.
Faisant écho au maréchal, Sorin va chercher un soutien
au sein d’une frange élitiste de la population composée
majoritairement de descendants des familles coloniales.
Descendants de colons, ecclésiastiques ou propriétaires
terriens, beaucoup ne soutiennent pas les valeurs d’une
République qui leur a ôté leur suprématie.
La plupart d’entre eux acceptent donc la hiérarchisation
de la société proposée par Vichy.
Cette époque sera propice à de nombreux affrontements
entre les élites des Blancs créoles, favorisée
par Sorin, contre des éléments de la petite et moyenne
bourgeoisie de couleur.
Le gouverneur, inflexible, fera interner de nombreuses personnalités
noires récalcitrantes au Fort Napoléon ou dans les
cales de la Jeanne d’Arc, lorsqu’elles ne sont pas
carrément envoyées au bagne de Guyane. C’est
le cas du conseiller général Paul Valentino, opposant
au régime, qui est arrêté en Guadeloupe et
envoyé au bagne des Iles du Salut en Guyane, dès
le début du conflit.
La multiplication des arrêtés et des lois paraissant
dans le Journal officiel atteste des difficultés que rencontre
Sorin pour faire respecter son autorité et lutter contre
la monoculture de la canne à sucre. Boudant les textes
qui rendent obligatoire une meilleure harmonisation des productions
de l’élevage et de l’agriculture, en fonction
des besoins de l’île, les industriels n’écoutent
que leurs impératifs économiques. Ils préfèrent
maintenir leur production et stocker leur sucre pour profiter
ensuite de la hausse des prix après la guerre. Une grande
partie de leur production sera d’ailleurs endommagée,
parce que le trafic maritime ne permet pas, en plein conflit,
la livraison régulière de leurs denrées commerciales.
Discours publié au journal officiel du 14 mars 1942
intitulé :
" Appel aux agriculteurs et aux industriels guadeloupéens.
L'évolution de la situation internationale me conduit aujourd'hui
à vous mettre à nouveau en garde contre les dangers
de la monoculture...
Avant de compter sur les autres, comptez sur vous-mêmes.
L'heure est venue de vous mettre courageusement au travail, et
avec acharnement. Il faut produire. Hier vous avez fait un effort
pour vos cultures vivrières et pour la culture du manioc...maintenez
de toutes vos forces les
cultures d'exportation à leur potentiel actuel, mais ne
les développez pas. La prudence l'exige, car nul ne sait
de quoi demain sera fait. Intensifiez au contraire les cultures
de consommation.
Que ce pays devienne, grâce à vous, un pays d'arachide
et vous aurez votre huile, denrée de première nécessité.
Plantez du ricin, plantez des cocotiers, et vous aurez votre savon.
Plantez du sisal et vous aurez de la corde et de la ficelle...
il s'agit aujourd'hui de la vie de votre pays et de son avenir".
Pour soutenir ce programme, Sorin prit plusieurs arrêtés
comme par exemple :
celui interdisant l'abattage des arbres fruitiers (arbres à
pain, manguiers etc).
Pour éviter l’épuisement des ressources,
des « cartes de ravitaillement » sont instituées
en 1942. Ces cartes doivent assurer, en principe, un meilleur
partage des denrées et permettre le contrôle des
livraisons aux particuliers de manière équitable.
Cependant, alors que la population se serre la ceinture, les invités
du palais du gouverneur et les officiers de la « Jeanne
d’Arc » mangent largement à leur faim.
Le 1er mai 1942, lors d’une campagne de « lutte
contre le vagabondage », le gouverneur rend obligatoire
le port d’un « livret de travail ».
Cet arrêté est très mal accueilli en Guadeloupe.
Au lendemain de l’abolition de l’esclavage en 1848,
Victor Hugues, alors commissaire de la République, avait
pris la même décision pour maintenir la main d’œuvre
servile au travail. Ce texte, renforçant la surveillance
policière de la population, est alors considéré
comme une régression des acquis républicains.
Cette mesure est d’autant plus impopulaire qu’elle
rend encore plus périlleux le départ de ceux qui
tentent de rejoindre la Résistance dans les îles
anglaises. Plus que jamais, les candidats au voyage risquent de
se faire repérer et arrêter.
Certains de ceux qui partent vers Montserrat, La Dominique,
ou Sainte-Lucie, fuient la répression et les conditions
matérielles difficiles. Mais ceux que l’on appelle
les Dissidents, authentiques patriotes, répondent aux appels
lancés par le général de Gaulle, adressés
d’abord à la France entière, puis spécialement
aux Français des colonies.
Cependant, des troupes de gendarmerie rôdent et traquent
les dissidents potentiels. Ceux qui se font prendre risquent d’être
incarcérés de façon arbitraire ou d’être
molestés par les milices de l’Amiral Rouyer dans
les cales du navire de guerre « La Jeanne d’Arc ».
En juillet 1943, après l’arrivée du représentant
de la « France combattante » en Martinique, Constant
Sorin ne suit pas l’amiral Robert qui se réfugie
à Porto Rico. Il va chercher asile en Afrique du Nord,
base des opérations des Forces françaises libres
du général de Gaulle.
Cette fuite caractérise la complexité du personnage.
Fidèle à une autorité qu’il ne reconnaît
pas dans un premier temps, avant d’en être l’exécuteur
zélé, l’homme semble avoir été
un pion, pris en otage par l’Histoire, tout autant qu’un
administrateur brutal et autoritaire.
En tant que représentant de la plus haute autorité
du gouvernement dans la colonie, et à cause de la minutie
implacable avec laquelle il s’est acquitté de sa
tâche, son nom est définitivement associé
à tout ce que l’époque vichyssoise évoque
de négatif, en Guadeloupe, sous l’expression «
an Tan Sorin ».
(Source : RFO)