Discours de Christian Paul, Secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, à l'occasion de l'examen par le sénat de la
proposition de loi pour la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité.
10/05/2001.

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Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,

La grandeur d'un peuple se mesure à sa capacité d'assumer son histoire, celle d'une so-
ciété à s'avouer les crimes dont elle porte encore les traces, celle d'un Etat à dénoncer
les actes de barbarie que ses institutions, en des temps qui ne sont pas si lointains, ont
pu cautionner. Il nous faut sans cesse lutter contre cette lâche tendance à cacher, à taire
ce dont nous avons honte, comme si l'on pouvait, en ne disant pas, faire que ce n'ait ja-
mais eu lieu. Au nom de ces principes, la nation toute entière s’est récemment penchée,
dans un effort douloureux de clairvoyance, sur les périodes sombres de notre histoire :
Vichy et la collaboration, la guerre d’Algérie et la torture.

Au nom de ces principes, Christiane Taubira-Delannon, députée de Guyane,a invité le
Parlement français à reconnaître la traite et l’esclavage pour ce qu’ils furent : des crimes
contre l’humanité.
Cette proposition de loi nous engage à dénoncer le traitement inhumain subi, à partir du
XVème siècle, par des millions d’Africains déportés et leurs enfants.
Elle nous engage également à dénoncer l’indifférence qui a entouré, pendant cinq siècles,
la souffrance de ceux qui furent réduits à être de simples instruments, reproductibles et
destructibles. Elle nous engage, en d’autres termes, à revendiquer, par la loi, une prise
de conscience collective.Ce devoir de mémoire, les populations de l'outre-mer l'at-
tendent. N'ont-elles pas souvent exprimé cette attente, notamment lors des nombreuses
manifestations suscitées par la commémoration du cent cinquantenaire de la seconde
abolition de l'esclavage il y a deux ans ? Ne l'ont-elles pas signifié à Paris même, le 23
mai 1998, lors d'une marche silencieuse qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes ?
Ne l’expriment-elles pas encore dans les nombreuses cérémonies de commémoration
qu’organisent des associations très actives, dans les départements d’outre-mer comme
dans l’hexagone ? Pour ces hommes et ces femmes, le passé n’est pas dépassé, il est au
contraire bien présent. Il a laissé des séquelles douloureuses dans les cœurs, dans les es-
prits.

On a pensé, en 1848, après l’abolition définitive de l’esclavage, que ses traces disparaî-
traient si l’on cessait de l’évoquer. On a pensé qu’il fallait résolument tourner le dos au
passé, afin de recomposer une société meurtrie, marquée par des siècles de servitude et
de douleur. Une phrase est restée célèbre, celle prononcée par Rostoland, gouverneur
provisoire de la Martinique : « je recommande à chacun l’oubli du passé ».

L’injonction à l’oubli a enfermé les populations d’outre-mer dans un processus de refoulement dont elles sont restées prisonnières, « esclaves de l’esclavage », selon l’expression de Frantz Fanon. Nous devons sortir de cette mémoire sourde que le silence engendre. Cette proposition de loi y contribue.
Elle propose notamment d’instaurer un comité de personnalités, chargés de veiller à ce que demeure présente la mémoire de ces crimes, afin que le silence cesse de recouvrir ce que nous devons assumer, ce dont nous devons nous souvenir.

Le silence n’élimine pas le crime. Il fige une société dans un passé qui la traverse de part
en part, et en cela il hypothèque l’avenir. Cette loi constitue, pour les populations d'ou-
tre-mer, un acte incontestable de libération.

C’est là d’abord un symbole politique fort. Il est en effet nécessaire que le droit désigne
les limites de l'inacceptable et qu'il soit porteur d'un esprit de justice. Le droit a trop sou-
vent été mis au service de fins iniques, on a trop souvent attendu de lui qu'il légitime des
pratiques abominables. Le Code noir, promulgué par Louis XIV en 1685, en est sans
doute l'exemple le plus triste et le plus caricatural.

Mais, surtout, s’il importe d’écrire ainsi la loi de la République, c’est parce que l’escla-
vage est une négation de nos principes républicains : être républicain, c'est reconnaître
que chaque homme est, par nature, capable de décider de son propre sort.
Etre républicain, en d'autres termes, c'est considérer que la liberté n'est pas aliénable,
que rien ne peut légitimer que l'on en dépossède un homme, comme si elle était un bien
dont on pouvait se défaire. Au XVIIIème siècle, des voix se sont fait entendre pour dé-
fendre ces principes et condamner toutes les formes d'esclavage : celle de Montesquieu,
celle de l’abbé Grégoire, mais plus encore, celles de Rousseau et de l'Abbé Raynal.
On se gardera pourtant de croire que l’esclavage a été aboli parce que s’est développé,
à Paris, au siècle des Lumières, un mouvement d’opinion humaniste, philanthropique et
républicain. Les résistances à l’époque étaient fortes, et le sentiment de mépris des Eu-
ropéens à l’égard des Africains y est évidemment pour beaucoup.

Mesdames et Messieurs,

La liberté n’a pas été octroyée aux esclaves, ils l’ont conquise. Ce sont leurs révoltes,
marronnage ou insurrections, qui ont ébranlé ce système en place. Elles ont mis en question sa rentabilité économique ; elles ont constitué dans toutes les colonies une résistance et une révolte que la France coloniale ne pouvait ignorer. Certains de ces combats ont marqué les esprits : celui que mena Delgrès en Guadeloupe, celui que conduisit Toussaint Louverture à Saint-Domingue.

Ainsi, la condamnation de l’esclavage par le droit français souligne les principes qui animent nos institutions. Plus encore, elle nous invite à rendre hommage à celles et ceux, qui en se révoltant contre un système inhumain, les ont mis en oeuvre.

Ils’agit de leur restituer leur dignité de combattants, en leur donnant toute leur place
dans leur mémoire commune et vive de la France. Avec vous, je souhaite que leurs noms
soient inscrits dans les livres de nos écoles.

Enfin, cette proposition de loi nous invite à reconnaître la dimension universelle de ces
crimes. Sont qualifiés de crimes contre l'humanité tous les actes, qui tendent, selon un
plan concerté, à exclure une population de la communauté des hommes.
Comment nommer autrement cette déportation et cet asservissement systématique de
millions d'hommes et de femmes, pourchassés comme des animaux sauvages, troqués
comme de vulgaires marchandises, entassés dans des cales comme une cargaison sans
valeur, vendus comme du bétail et exploités jusqu'à l'épuisement ?
Comment juger autrement ce calcul économique implacable, selon lequel il était plus
rentable de faire venir en grande quantité des esclaves peu coûteux et de les contraindre
à travailler jusqu'à la mort, plutôt que de leur assurer des conditions de vie qui leur per-
mettent de reproduire leur force de travail, ce qu’on assurera au XIXème siècle, au plus
misérable des prolétariats ? La traite et l'esclavage sont, incontestablement, des crimes
contre l'humanité. En tant que tels, ils constituent une atteinte à l'humanité et à la dignité
de chaque homme, de chaque femme, où qu’ils soient et d’où qu’ils soient. Rendre hom-
mage aux victimes de ce système ignoble, c'est affirmer que nous devons sans cesse
conquérir notre humanité et la protéger des menaces que font peser sur elle des logiques
économiques aveugles.

L’esclavage constitue un attentat contre tous les hommes. C’est là la signification morale
et universelle de cette proposition de loi.

Cette loi est aussi un acte qui nous permet de mieux mesurer les enjeux du temps pré-
sent. Les hommes sont égaux en dignité et en droit, l’être humain n’est pas une marchan-
dise.

La logique économique n’explique pas à elle seule l’inhumanité dont les Européens ont
fait preuve à l’encontre des esclaves. S’y est joint, en effet, un racisme anti-noir que bien
peu, au XVIIIème siècle, ont dénoncé. Il explique en grande partie le sentiment d'indif-
férence qui a entouré les atrocités et les humiliations subies par les Africains. C'est ainsi
à lutter contre les germes du racisme sous toutes ses formes que nous engage cette re-
connaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité.

Ce projet de loi prévoit la possibilité pour des associations qui visent à défendre la mé-
moire des esclaves et l'honneur de leurs descendants, de se porter en justice. C'est une
excellente disposition qui complète la loi Gayssot.

Elle prévoit également que l'on donne à la traite et à l'esclavage la place qui leur revient
dans les programmes scolaires et dans les programmes de recherche. On doit ainsi in-
sister, par exemple, sur l'abolition de l'esclavage en classe de 4ème, puisque la période
y est étudiée. On doit souligner la part prise dans cette conquête que fut l’abolition par
plus d’un demi-siècle de combats collectifs, menés par les mouvements des esclaves ré-
voltés, contre des sociétés coloniales qui pratiquèrent des répressions impitoyables,
comme celle de Richepance en Guadeloupe, en 1802. Le centre national de la docu-
mentation pédagogique doit mettre à la disposition des enseignants des documents por-
tant sur la reconnaissance comme crime contre l'humanité de la traite et de l'esclavage.
Des bourses de recherche doivent inciter de jeunes chercheurs à travailler sur ces thè-
mes. Ces mesures me paraissent essentielles : l'école reste, dans notre République, le
meilleur rempart contre l'ignorance et le préjugé.

En outre, la loi soumise aujourd’hui à votre vote nous engage à dénoncer et à combattre
toutes les formes modernes d'exploitation. La traite et l'esclavage, qui pendant cinq siè-
cles ont asservi des millions d'Africains pour le profit de quelques grandes familles euro-
péennes, doivent nous rappeler, en effet, que le marché est sans loi lorsqu'il n'est régi que
par les seules lois du marché. Des êtres humains sont aujourd’hui encore l’objet d’une
traite ignoble : trafic clandestin de migrants en vue d’un travail forcé, industriel ou domes-
tique, ou en vue d’une exploitation sexuelle ; trafic d’enfants enlevés à leurs parents, mal-
traités, contraints à des tâches harassantes.
Une mission d’information parlementaire sur les diverses formes de l’esclavage moder-
ne en France et en Europe vient d’être créée. Elle prépare une modification des textes
du droit français, afin que l’on puisse être en mesure de lutter efficacement contre ces
crimes et de poursuivre le combat que de nombreuses associations ont engagé, et parmi
elles le Comité contre l’esclavage moderne.

Il importe que la traite et l'esclavage, dans nos départements d'outre-mer comme dans
l’hexagone, ne soit plus, pour les uns et les autres, ni cette origine honteuse dont on croit
qu'elle pèse comme une tache indélébile, ni cette faute que la mauvaise conscience nous
pousse à cacher. Ces événements sont notre histoire, une histoire pénible, une histoire
douloureuse, mais dont nous entendons tirer les leçons. C'est à cela que nous invite ce
projet de loi : à reconnaître un crime, à honorer la mémoire de ses victimes et à saluer le
courage de ceux qui, là-bas et ici, là-bas plus encore qu’ici, menèrent le combat contre
l’esclavage.

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Texte définitif adopté par le Sénat le 10 mai 2001

Article 1er : La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ain-
si que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à
partir du XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Euro-
pe contre les populations africaines, amérindiennes , malgaches et indiennes constituent
un crime contre l’humanité.

Article 2 : Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en
sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente
qu’ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écri-
tes disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques
accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres terri-
toires ayant connu l’esclavage sera encouragée et favorisée.

Article 3 : Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que
la traite dans l’océan et de l’esclavage comme crime contre l’humanité sera introduite
auprès du Conseil de l’Europe, des organisations internationales et de l’Organisation des
Nations Unies. Cette requête visera également la recherche d’une date commune au plan
international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans
préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer.

Article 4 : Le dernier alinéa de l’article unique de la loi n° 83-550 du 30 juin 1983 re-
lative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage est remplacé par trois alinéas ain-
si rédigés :
«un décret fixe la date de la commémoration pour chacune des collectivités territoriales
visées ci-dessus ».
«En France métropolitaine , la date de la commémoration annuellede l’abolition de l'es-
clavage est fixée par le Gouvernement après la consultation la plus large ».
«IL est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants
d’associations défendant la mémoire des esclaves, chargé de proposer, sur l’ensemble
du territoire national, des lieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire
de ce crime à travers les générations. La composition, les compétences et les missions
de ce comité sont définies par un décret en Conseil d’Etat pris dans un délai de six mois
après la publication de la loi n°... du... tendant à la reconnaissance de la traite et de l’es-
clavage en tant que crime contre l’humanité ».

Article 5 : A l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après
les mots : « par ses statuts, de « , sont insérés les mots : « défendre la mémoire des es-
claves et l’honneur de leurs descendants, ».

 

 
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