Edit1 du roi touchant la police des îles de l’Amérique
Françoise 2
Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre
: à tous, présents et à venir, salut. Comme
nous devons également nos soins à tous les peuples
que la divine providence a mis sous notre obéissance, nous
avons bien voulu faire examiner en notre présence les mémoires
qui nous ont été envoyés par nos officiers
de nos îles de l'Amérique, par lesquels ayant été
informés du besoin qu'ils ont de notre autorité
et de notre justice pour y maintenir la discipline de l'Eglise
catholique, apostolique et romaine, pour y régler ce qui
concerne l'état et la qualité des esclaves dans
nos dites îles, et désirant y pourvoir et leur faire
connaître qu'encore qu'ils habitent des climats infiniment
éloignés de notre séjour ordinaire, nous
leur sommes toujours présent, non seulement par l'étendue
de notre puissance, mais encore par la promptitude de notre application
à les secourir dans leurs nécessités.
A ces causes, de l'avis de notre Conseil,3 et de notre certaine
science, pleine puissance et autorité royale, nous avons
dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons,
voulons et nous plaît ce qui ensuit.
ART. 1. Voulons et entendons que l’Edit du feu Roi de glorieuse
mémoire, notre très honoré seigneur et père,
du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles
; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser,
de nosdites îles, tous les juifs qui y ont établi
leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés
du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans
trois mois, à compter du jour de la publication des présentes,
à peine de confiscation de corps et de biens.4
ART. 2. Tous les esclaves, qui seront dans nos îles, seront
baptisés et instruits dans la religion C. A. et R.5; enjoignons
aux habitants qui achètent des nègres nouvellement
arrivés, d’en avertir dans huitaine au plus tard,
les gouverneurs et intendants des dites îles, à peine
d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires
pour les faire inscrire, et baptiser dans le temps convenable.6
ART. 3. Interdisons tout exercice public, d’autre religion
que celui de la religion C. A. et R., ; voulons que les contrevenants
soient punis comme rebelles , et désobéissants à
nos commandements ; défendons toutes assemblées
pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules,
illicites, séditieuses, sujettes à la même
peine, qui aura lieu même contre les maîtres qui les
permettront, ou souffriront à l’égard de leurs
esclaves.
ART. 4. Ne seront préposés aucuns commandeurs7 à
la direction des nègres, qu’ils fassent profession
de la religion C. A. et R., à peine de confiscation desdits
nègres, contre les maîtres qui les auront préposés,
et de punition arbitraire contre les commandeurs qui auront accepté ladite direction.
ART. 5. Défendons à nos sujets de la religion P.
R.8 , d’apporter aucun trouble ni empêchements à
nos sujets, même à leurs esclaves, dans le libre
exercice de la religion C. A. et R. à peine de punition
exemplaire.
ART. 6. Enjoignons à tous nos sujets de quelque qualité
et conditions qu’ils soient, d’observer les jours
de dimanche et fêtes, qui sont gardés par nos sujets
de la religion C. A. et R; leur défendons de travailler,
nide faire travailler leurs esclaves auxdits jours, depuis l’heure
de minuit jusqu’à l’autre minuit, à
la culture de la terre, à la manufacture des sucres, et
à tous autres ouvrages, à peine d’amendes
et de punition arbitraire, contre les maîtres, et les confiscations
tant des sucres, que des esclaves qui seront surpris, par nos
officiers, dans le travail.
ART. 7. Leur défendons pareillement de tenir le marché
des nègres et de toutes autres marchandises, lesdits jours,
sur pareilles peines de confiscations des marchandises qui se
trouveront alors au marché, et d’amende arbitraire
contre les marchands.
ART. 8. Déclarons nos sujets, qui ne sont pas de la religion
C. A. et R, incapables de contracter à l’avenir aucuns
mariages valables ; déclarons bâtards les enfants
qui naîtront de telles conjonctions, que nous voulons être
tenues et réputées, tenons et réputons pour
vrais concubinages.
ART. 9. Les hommes libres, qui auront un ou plusieurs enfants
de leurs concubinages avec leurs esclaves, ensemble les maîtres
qui les auront soufferts, seront, chacun, condamnés en
une amende de 2000 livres de sucre9 ; et s’ils sont les
maîtres de l’esclave de laquelle ils auront eu lesdits
enfants, voulons, outre l’amende, qu’ils soient privés
de l’esclave et des enfants ; et qu’elle et eux soient
confisquées au profit de l’hôpital,10 sans
jamais pouvoir être affranchis ; n’entendons, toutefois,
le présent article, avoir lieu, lorsque l’homme libre,
qui n’était point marié à une autre
personne durant son concubinage avec son esclave, épousera,
dans les formes observées par l’Eglise, ladite esclave,
qui sera affranchie par ce moyen, et les enfants rendus libres,
et légitimes.
ART. 10. Les solennités prescrites par l’ordonnance
de Blois , articles XL, XLI, XLII, & par la déclaration
du mois de novembre 1629,11 pour les mariages, seront exécutées,
tant à l’égard des personnes libres, que des
esclaves, sans néanmoins que le consentement du père
et de la mère de l’esclave y soit nécessaire,
mais celui du maître seulement.
ART. 11. Défendons très expressément, aux
curés, de procéder aux mariages des esclaves, s’ils
ne font apparoir du consentement de leurs maîtres ; défendons
aussi, aux maîtres, d’user d’aucune contrainte
sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.
ART. 12. Les enfants, qui naîtront des mariages entre les
esclaves, seront esclaves, et appartiendront aux maîtres
des femmes esclaves, et non à ceux de leurs maris, si le
mari et la femme ont des maîtres différents.12
ART. 13. Voulons que si le mari esclave a épousé
une femme libre, les enfants tant mâles que filles, soient
de la condition de leur mère, et soient libres comme elle,
nonobstant la servitude de leur père ; et que si le père
est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves
pareillement.
ART. 14. Les maîtres seront tenus de faire enterrer en terre
sainte, et dans les cimetières destinés à
cet effet, leurs esclaves baptisés ; et à l’égard
de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême,
ils seront enterrés de nuit, dans quelque champ voisin
du lieu où ils seront décédés.
ART. 15. Défendons aux esclaves de porter aucune armes
offensives, ni de gros bâtons, à peine de fouet,
et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera
saisis ; à l’exception seulement de ceux qui seront
envoyés à la chasse par leurs maîtres, et
qui seront porteurs de leurs billets, ou marques connues.
ART. 16. Défendons pareillement aux esclaves appartenant
à différents maîtres, de s’attrouper13
le jour ou la nuit, sous prétexte de noces ou autrement,
soit chez l’un de leurs maîtres, ou ailleurs, et encore
moins dans les grands chemins, ou lieux écartés,
à peine de punitions corporelles, qui ne pourra être
moindre que du fouet, et de la fleur de lys ; et en cas de fréquentes
récidives, et autres circonstances aggravantes, pourront
être punis de mort : ce que nous laissons à l’arbitrage
des juges : enjoignons à tous nos sujets de courir sus
aux contrevenants, de les arrêter, et de les conduire en
prison, bien qu’ils ne soient point officiers, et qu’il
n’y ait contre eux aucun décret.
ART. 17. Les maîtres qui seront convaincus d’avoir
permis ou toléré telles assemblées, composées d’autres esclaves que de ceux qui leurs appartiennent, seront
condamnés, en leurs propres et privés noms, de réparer
tout le dommage qui aura été fait à leurs
voisins, à l’occasion desdites assemblées,
et en dix livres14 d’amende pour la première fois,
et au double, en cas de récidive.
ART. 18. Défendons aux esclaves de vendre des cannes à
sucre, pour quelque cause, et occasion que ce soit, même
avec la permission de leurs maîtres ; à peine du
fouet contre les esclaves, de 10 livres tournois contre le maître
qui l’aura permis, et de pareille amende contre l’acheteur.
ART. 19. Leurs défendons aussi d’exposer en vente
au marché, ni de porter dans les maisons particulières, pour vendre, aucune sorte de denrées,
même des fruits, légumes, herbes pour la nourriture
des bestiaux et leurs manufactures, sans permission expresse de
leurs maîtres, par un billet ou marques connues ; à
peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restitution
du prix par les maîtres, et de 6 livres tournois d’amende
à leur profit, contre les acheteurs.
ART. 20. Voulons, à cet effet que deux personnes soient
préposées par nos Officiers, dans chacun marché, pour examiner les denrées et marchandises
qui y sont portées par les esclaves, ensemble les billets
et marques de leurs Maîtres, dont ils seront porteurs.
ART. 21. Permettons, à tous nos sujets15 et habitants des
îles, de se saisir de toutes les choses dont ils trouveront
les esclaves chargés, lorsqu’ils n’auront point
de billets de leurs maîtres, ni des marques connues, pour
être rendues incessamment à leurs maîtres,
si leur habitation16 est voisine du lieu où les esclaves
auront été surpris en délit ; sinon, elles
seront incessamment envoyées à l’hôpital,
pour y être déposées, jusqu’à
ce que les maîtres en aient été avertis.
ART. 22. Seront tenus les maîtres, de faire fournir, par
chacune semaine, à leurs esclaves âgés de
dix ans, et au dessus, pour leur nourriture, deux pots et demi
mesure de Paris, de farine de manioc, ou trois cassaves17 pesant
chacune deux livres et demie, au moins, ou autre chose à
proportion ; et aux enfants depuis qu’ils sont sevrés,
jusqu’à l’âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus.18
ART. 23. Leur défendons de donner aux esclaves de l’eau
de vie de cannes, ou guildive,19 pour tenir lieu de la substance
mentionnée en l’article précédent.
ART. 24. Leur défendons pareillement de se décharger
de la nourriture et subsistance de leurs esclaves, en leur permettant
de travailler certains jours de la semaine, pour leur compte particulier.
ART. 25. Seront tenus les maîtres de fournir, à chaque
esclave, par chacun an, deux habits de toile, ou quatre aunes
de toile, au gré desdits maîtres.20
ART. 26. Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus
et entretenus par leurs maîtres, selon que nous l’avons
ordonné par les présentes, pourront en donner avis
à notre procureur, et mettre leurs mémoires entre
les mains, sur lesquelles, et même d’office, si les
avis lui viennent d’ailleurs, les maîtres seront poursuivis
à sa requête, et sans frais ; ce que nous voulons
être observé, pour les crimes et traitements barbares
et inhumains des maîtres, envers leurs esclaves.21
ART. 27. Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement,
soit que la maladie soit incurable, ou non, seront nourris et
entretenus par leurs maîtres ; et en cas qu’ils les
eussent abandonnés, les dits esclaves seront adjugés
à l’hôpital, auquel les maîtres seront
condamnés de payer 10 sols, par jour, pour la nourriture
et l’entretien de chacun esclave.
ART. 28. Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui
ne soit à leurs maîtres, et tout ce qui leur vient
par industrie, ou par la libéralité d’autres
personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, être
acquis, en pleine propriété, à leurs maîtres
; sans que les enfants des esclaves, leurs pères et mères,
leurs parents ou tous autres, y puissent rien prétendre,
par succession, disposition entre vifs, ou à cause de mort
; lesquelles dispositions déclarons nulles, ensemble toutes
les promesses, et obligations qu’ils auront faites, comme
étant faites par gens incapables de disposer, et contracter
de leur chef.
ART. 29. Voulons néanmoins que les maîtres soient
tenus de ce que leurs esclaves auront fait pour le commandement,
ensemble ce qu’ils auront géré et négocié
dans leurs boutiques, et pour l’espèce particulière
de commerce à laquelle leurs maîtres les auront préposés,
et en cas que leurs maîtres ne leurs aient donné
aucun ordre, et ne les aient point préposés, ils
seront tenus seulement jusque, et à concurrence de ce qui
aura tourné à leurs profits ; et si rien n’a
tourné au profit des maîtres, le pécule desdits
esclaves, que leurs maîtres leur auront permis d’avoir,
en sera tenu, après que leurs maîtres en auront déduit,
par préférence, ce qui pourra leur en être
dû, sinon que le pécule consistât, en tout,
ou en partie, en marchandises dont les esclaves auraient permission
de faire trafic à part, sur lesquelles leurs maîtres
viendront, seulement, par contribution au sol la livre, avec les
autres créanciers.
ART. 30. Ne pourrons les esclaves, être pourvus d’offices,
ni de commission ayant quelque fonction publique ; ni être constitués agents par autres que
leurs maîtres, pour gérer ou administrer aucun négoce, ni être arbitres, experts ou témoins,
tant en matière civile que criminelle ; et en cas qu’ils
soient ouïs en témoignage, leur déposition
ne servira que de mémoire, pour aider les juges à
s’éclaircir d’ailleurs, sans qu’on en
puisse tirer aucune présomption, conjoncture, ni adminicule
de preuve.
ART. 31. Ne pourront aussi les esclaves être parties, ni
être22 en jugement en matière civile, tant en demandant,
qu’en défendant ; ni être parties civiles dans
les affaires criminelles ; sauf à leurs maîtres d’agir
et défendre, en matière civile, et de poursuivre,
en matière criminelle, la réparation des outrages
et excès qui auront été commis contre leurs
esclaves.
ART. 32. Pourront les esclaves être poursuivis criminellement,
sans qu’il soit besoin de rendre leurs maîtres parties, (sinon) en cas de complicité ; et
seront les esclaves acculés, jugés en première
instance par les juges ordinaires, et par appel au Conseil souverain,
sur la même instruction, et avec les mêmes formalités,
que les personnes libres.
ART. 33. L’esclave qui aura frappé son maître,
ou la femme de son maître, sa maîtresse, ou le mari
de sa maîtresse, ou leurs enfants, avec contusion, ou effusion
de sang, sera puni de mort.

ART. 34. Et quant aux excès de voies de fait, qui seront
commis par les esclaves contre des personnes libres ; voulons
qu’ils soient sévèrement punis, même
de mort s’il y échet.23
ART. 35. Les vols qualifiés, même ceux de chevaux,
cavales, mulets, boeufs ou vaches, qui auront été
faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de
peines afflictives, même de mort si le cas le requiert.
ART. 36. Les vols de moutons, chevres (sic), cochons, volailles,
cannes à sucre, pois, mil, maignoe (sic),24 ou autres légumes
faits par les esclaves seront punis selon la qualité du
vol, par les Juges qui pourront, s’il y échet, les
condamner d’être battus de verges par l’exécuteur
de la Haute justice,25 et marqués d’une fleur de
lys.
ART. 37. Seront tenus, les maîtres, en cas de vol, ou d’autre
dommage causé par leurs esclaves, outre la peine corporelle
des esclaves, de réparer le tort en leur nom, s’ils
n’aiment mieux abandonner l’esclave à celui
auquel le tort aura été fait ; ce qu’ils seront
tenus d’opter dans trois jours, à compter de celui
de la condamnation, autrement ils en seront déchus.

ART. 38. L’esclave fugitif qui aura été en
fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître
l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles
coupées, et sera marqué d’une fleur de lys
sur une épaule ; s’il récidive, un autre mois,
à compter pareillement du jour de la dénonciation,
il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une
fleur de lys, sur l’autre épaule ; et la troisième
fois, il sera puni de mort.26
ART. 39. Les affranchis, qui auront donné retraite, de
leurs maisons, aux esclaves fugitifs, seront condamnés par corps, envers les maîtres, en l’amende
de 3000 livres de sucre, par chaque jour de rétention ;
et les autres personnes libres, qui leur auront donné une
pareille retraite, en dix livres tournois d’amende, par
chacun jour de rétention.
ART. 40. L’esclave, puni de mort sur la dénonciation
de son maître, non complice du crime pour lequel il aura
été condamné, sera estimé, devant
l’exécution, par deux des principaux habitants27
de l’île qui seront nommés d’office par
je juge ; et le prix de l’estimation en sera payé
au maître; et pour à quoi satisfaire, il sera imposé
par l’intendant, sur chacune tête des nègres
payant droits, la somme portée par l’estimation,
laquelle sera régalée sur chacun des nègres,
et levée par le fermier28 du Domaine royal29 d’Occident
pour éviter à frais.
ART. 41. Défendons aux juges, à nos procureurs et
greffiers, de prendre aucune taxe dans les procès criminels
contre les esclaves, à peine de concussion.
ART. 42. Pourront seulement les maîtres, lorsqu’ils
croiront que leurs esclaves l’auront mérité,
les faire enchaîner, et leurs faire battre de verges ou
cordes ; leur défendons de leur donner la torture, ni de
leur faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation
des esclaves, et d’être procédé contre
les maîtres, extraordinairement.30
ART. 43. Enjoignons à nos officiers de poursuivre criminellement
les maîtres, ou commandeurs, qui auront tué un esclave
étant sous leur puissance, ou sous leur direction ; et
de punir le meurtre suivant l’atrocité des circonstances
; et en cas qu’il ait eu à l’absolution, permettons
à nos officiers de renvoyer tant les maîtres que
les commandeurs absous, sans qu’ils aient besoin d’obtenir
de nous lettres de grâce.
ART. 44. Déclarons les esclaves être meubles, et
comme tels, entrer dans la communauté ; n’avoir point
de fuite par hypothèque ; se partager également
entre les cohéritiers, sans préciput et droit d’aînesse
; n’être sujet au douaire coutumier, au retrait féodal
et lignager, aux seigneuriaux et féodaux, aux formalités
des décrets, ni au retranchement des quatre quints en cas
de disposition, à cause de mort, et testamentaire.
ART. 45. N’entendons, toutefois, priver nos sujets de la
faculté de les stipuler propres à leurs personnes,
et aux leurs de leur côté, et ligne, ainsi qu’il
se pratique pour les sommes de deniers, et autres choses mobilières.
ART. 46. Seront, dans les saisies des esclaves, observées
les formes prescrites par nos ordonnances, et les coutumes, par
les saisies nobiliaires : voulons que les deniers en provenant
soient distribués par ordre des saisies, ou, en cas de
déconfiture, au sol la livre, après que les dettes
privilégiées auront été payées
et généralement, que la condition des esclaves soit
réglée, en toutes affaires, comme celle des autres
choses mobilières, aux exceptions suivantes.
ART. 47. Ne pourront être saisis et venus séparément,
le mari et la femme, et leurs enfants impubères,31 s’ils
sont sous la puissance d’un même maître : déclarons
nulles les saisies et ventes qui en seront faites; ce que nous
voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires : sous
peine contre ceux qui feraient les aliénations d’être
privés de celui, ou de ceux qu’ils auront gardés,
qui seront adjugés aux acquéreurs, sans qu’ils
soient tenus de faire aucun supplément de prix.
ART. 48. Ne pourrons aussi les esclaves, travaillant actuellement
dans les sucreries, indigoteries, et habitations, âgés
de quatorze ans, et au dessus jusqu’à seize ans,
être saisis pour dettes ; sinon pour ce qui sera dû
du prix de leur achat ; ou que la sucrerie, indigoterie , ou habitation,
dans laquelle ils travaillent, soit saisie réellement ;
défendons, à peine de nullité, de procéder
par saisie réelle, et adjudication, par décret,
sur les sucreries, indigoteries, et habitations, sans y comprendre
les nègres de l’âge susdit, y travaillant actuellement.
ART. 49. Le fermier judiciaire des sucreries, indigoteries, ou
habitations, saisies réellement, conjointement avec les
esclaves, seront tenu de payer le prix entier de son bail, sans
qu’il puisse compter, parmi les fruits qu’il perçoit,
les enfants qui seront nés des esclaves, pendant son bail.
ART. 50. Voulons, nonobstant, toutes conventions contraires, que
nous déclarons nulles, que les dits enfants appartiennent
à la partie saisie, si les créanciers sont satisfaits
d’ailleurs, ou à l’adjudicataire, s’il
intervient un décret ; et à cet effet, il sera fait
mention, dans la dernière affiche, avant l’interposition
du décret, desdits enfants nés des esclaves, depuis
la saisie réelle dans laquelle ils étaient compris.
ART. 51. Voulons, pour éviter aux frais, et aux longueurs
des procédures, que la distribution du prix entier de l’adjudication
conjointe des fonds, et des esclaves, et ce qui proviendra du
prix des baux judiciaires, soit faite entre les créanciers,
ou suivant l’ordre de leurs hypothèques, et privilèges,
sans distinguer ce qui est pour le prix des esclaves.
ART. 52. Et néanmoins, les droits féodaux, et seigneuriaux,
ne seront payés, qu’à proportion du prix des
fonds.
ART. 53. Ne seront reçus les lignagers, et les seigneurs
féodaux, à retirer les fonds décrétés,
s’ils ne retirent les esclaves vendus conjointement avec
les fonds ; ni l’adjudicataire à retirer les esclaves,
sans le fonds.
ART. 54. Enjoignons aux gardiens, nobles, et bourgeois usufruitiers,
amodiateurs, et autres jouissants des fonds auxquels sont attachés
des esclaves qui travaillent, de gouverner lesdits esclaves comme
bons pères de famille ; sans qu’ils soient tenus,
après leur administration finie, de rendre le prix de ceux
qui seront décédés ou diminués par
maladie, vieillesse, ou autrement, sans leur faute ; et sans qu’ils
puissent aussi retenir comme fruits à leur profit, les
enfants nés desdits esclaves, durant leur administration,
lesquels nous voulons être conservés, et rendus à
ceux qui en sont les maîtres, et les propriétaires.
ART. 55. Les maîtres, âgés de vingt ans, pourront
affranchir leurs esclaves, par tout acte entre vifs, ou à
cause de mort, sans qu’ils soient tenus de rendre raison
de l’affranchissement, ni qu’ils ayant besoin d’avis
de parents, encore qu’ils soient mineurs de vingt cinq ans.
ART. 56. Les esclaves, qui auront été faits légataires
universels, par leurs maîtres, ou nommés exécuteurs
testamentaires, ou tuteurs de leurs enfants, seront tenus et réputés,
les tenons et réputons, pour affranchis.
ART. 57 . Déclarons les affranchissements, faits dans nos
îles, leur tenir lieu de naissance dans nos îles ;
et les esclaves affranchis n’avoir besoin de nos lettres
de naturalité, pour jouir de l’avantage de nos sujets
naturels de notre royaume, terres et pays de notre obéissance,
encore qu’ils soient nés dans les pays étrangers.32
ART. 58. Commandons, aux affranchis, de porter un respect régulier
à leurs anciens maîtres, à leurs veuves, et
à leurs enfants, en sorte que l’injure, qu’il
leur auront faite, soit punie plus grièvement, que si elle
était faite à une autre personne : les déclarations,
toutefois, francs, et quittes envers eux, de toutes autres charges,
services, et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient
prétendre, tant sur leurs personnes, que sur leurs biens,
et successions, en qualité de patron.33
ART. 59. Octroyons, aux affranchis, les mêmes droits, privilèges,
et immunités dont jouissent les personnes nées libres ; voulons que le mérite d’une
liberté acquise produise, en eux, tant pour leur personne, que pour leurs biens, les mêmes effets que le
bonheur de la liberté naturelle causé à nos autres sujets.
ART. 60. Déclarons les confiscations et les amendes, qui
n’ont point de destination particulière, par ces
présentes, nous appartenir, pour être payées
à ceux qui sont préposés à la recette
de nos droits, et de nos revenus : voulons, néanmoins,
que distraction soit faîte du tiers des dites confiscations,
et amendes, au profit de l’hôpital établi dans
l’île, où elles auront été adjugées.
Si donnons en mandement à nos amés et féaux
les Gens tenant notre Conseil souverain34 établi à
la Martinique, Gade-Loupe,35 Saint-Christophe,36 que ces présentes
ils aient à faire lire, publier et enregistrer, et le contenu en elles garder et observer de point
en point selon leur forme et teneur, sans contrevenir ni permettre
qu'il y soit contrevenu en quelque sorte et manière que
ce soit, nonobstant tous édits, déclarations, arrêts
et usages, auxquels nous avons dérogé et dérogeons
par ces dites présentes.
Car tel est notre bon plaisir ; et afin que ce soit chose ferme
et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre scel.37
Donné à Versailles au mois de mars mil six cent
quatre-vingt-cinq, et de notre règne le quarante deuxième.
Louis38.
le Roi,
Colbert.39
Le Tellier40.

1 Ordonnance ou édit édit. Texte de
loi établi sous la direction du roi et enregistré
par une cour de justice appelée « Parlement »,
chargée de rendre la justice en appel au nom du Roi.
2 L’Amérique française comprend en 1685 :
la Louisiane, la Nouvelle-France (Québec et Acadie), la
Guadeloupe (en incluant les Saintes, Marie-Galante, et la
Désirade), la
Martinique, la Guyane, Sainte-Croix (devenues plus tard Antilles
danoises puis Iles vierges étasuniennes actuelles), la
partie septentrionale de l’île de Saint-Martin, la
partie occidentale de l’île de Saint-Domingue (Haïti)
et l’île de Saint-Barthélémy.
3 Conseil Conseil. L’un des quatre conseils qui aident le
roi : conseil d’En-Haut (politique générale),
conseil des Finances, conseil des Dépêches (correspondance
avec les provinces), conseil des Parties (justice). En l’absence
du Roi, la formule utilisée est « le Roi, en son
Conseil »
4 Juifs : pour cette question, consulter Gérard Lafleur,
"Les juifs aux Iles françaises du Vent (XVIIe-XVIIIe
siècles", Bull. Sté Hist. Guad., n°65-66,
1985, t. III/IV, Basse-Terre, 1985.
5 C. A. et R. : Catholique, Apostolique et Romaine.
6 Ces mesures ne sont pas suivies. Les esclaves sont peu christianisés.
7 Commandeur ou géreur : sorte de contremaître des
esclaves
8 Religion Prétendue Réformée ou RPR : la
même année, l’Edit de Fontainebleau (1685)
révoque l’Edit de Nantes (1598) ou « Edit de
tolérance », signé par Henri IV, grand-père
de Louis XIV. Dans les colonies, il existe une certaine tolérance
vis à vis des protestants, moyennant une abjuration simulée
cf. Gérard Lafleur, Les protestants aux îles françaises
du Vent sous l’Ancien Régime, Société
d’Histoire de la Guadeloupe, Basse-Terre, 1987, 308 p.
9 Amende payable en nature : cet élément rappelle
la rareté du numéraire aux îles. C’est
cette même rareté qui motive en 1848, le principe
de payer une indemnité aux anciens maîtres, qui outre
le dédommagement de ce que la loi a jusque là accepté,
doit fournir la trésorerie nécessaire au passage
de l’esclavage au salariat.
10 Hôpital : le règne de Louis XIV est celui du «
grand renfermement ». Les pauvres et autres « gens
sans aveu », sans feu ni lieu, considérés
au Moyen-Age comme étant à l’image du Christ,
sont désormais enfermés dans des lieux appelés
« hôpitaux ». En 1786, on prescrit la création
d’hôpitaux sur les habitations. Ceux-ci restent rares
cf. Josette Faloppe, Esclaves et citoyens, Les Noirs à
la Guadeloupe au XIXe (1802-1910), Basse-terre, Société
d’Histoire de la Guadeloupe, 1992
11 Déclaration de 1539 : par l’édit (ou ordonnance)
de Villers-Cotterêts, François 1er réorganise
la justice, qui inclut officiellement la question ou torture,
et ordonne qu’on rédige en français les actes
officiels. Il ordonne également aux curés de tenir
des registres des baptêmes dans leurs paroisses respectives.
Beaucoup d’ouvrages ou de sites internet, utilisant une
mauvaise source du XIXe ont reproduit une erreur de datation d’un
siècle à propos de cette ordonnance car ils ont
coupé et tronqué cette phrase. Quelques années
plus tard, lors de la Contre-Réforme catholique, le concile
de Trente (1543-1563) prescrit la tenue de registres de catholicité
enregistrant mariages et baptêmes. Henri III renouvelle
cette obligation par l’Ordonnance de Blois (1579) qui ajoute
aux baptêmes, l’enregistrement des mariages et des
sépultures et celle de Saint-Germain-en-Laye, qui ordonne
la tenue des registres en double minute. Il faut attendre Louis
XIV et l’ordonnance de 1667 pour que les curés s’exécutent
plus sérieusement. Ce n’est que sous Louis XV et
à partir d’une déclaration de 1736, que l’enregistrement
des sépultures est vraiment effectué.
12 Mais le mariage des esclaves reste suffisamment rare dans les
îles pour que l’emploi du mot mari paraisse étrange,
associé à esclave.
13 Jusqu’au XIXe siècle, la peur des révoltes
explique que les attroupements restent interdits en dehors des
habitations cf. carnaval
14 La livre tournois est une unité de compte. Une livre
équivaut à vingt sous. Un sou ou sol vaut 12 deniers.
Le système date de Charlemagne (VIIIe-IXe). Les Normands
l’ont amené en Angleterre avec les livres, shillings
et pennies (XIe).
15 On donne donc pouvoir de police à tout passant.
16 Habitation : plantation
17 Une cassave est une galette de manioc très nourrissante.
La technique et le mot sont caraïbes.
18 L’ordinaire est à base de manioc et de farine
de morue. La ration prescrite ici correspond à environ
2150 à 2300 calories par jours cf. Christian, Schnakenbourg,
Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe (XIXe-Xxe
siècles). T.
1 : La crise du système esclavagiste (1835-1847), L’Harmattan,
1980, p. 54 et Josette, Faloppe, Les noirs à la Guadeloupe
au XIXe siècle (1802-1910), Basse-Terre, 1992, p. 107.
Le complément vient du travail de l’esclave dans
son propre jardin : giraumons, ignames, malangas, madères,
etc. : se reporter à l’ART. 24 qui interdit cette
pratique. Le Samedi-Nègre finit par être autorisé
en 1786. Il permet de travailler au jardin.
19 Rhum : l’expression « rhum », venue de l’anglais,
ne semble apparaître qu’au XVIIIe.
20 Au XVIIe comme au XIXe, les esclaves vont nus jusque vers 14
ou 15 ans cf. J. Faloppe, op. cit., qui cite les témoignages
de l’abbé Dugoujon, visitant les Antilles. C’est
une cause de maladie et de mortalité. Cela est à
rapprocher du témoignage de l’ancien esclave américain
Frederick Douglas, Frederick Douglass, Narrative of the life of
Frederick Douglass, an American slave, 1845, Penguin Books, 1982
; même constat pour les Antilles britanniques, cf. James
Walwin, Black Ivory, History of British Slavery, London, Harper
Collins, 1992, p. 125.
21 Inutile de souligner combien cet article n’est pas respecté,
tout comme les articles 24 et 25.
22 Sic : il manque probablement un mot.
23 Echoit
24 Colbert a sans doute recopié le mot « manioc »
sans trop savoir de qui il s’agit.
25 Exécuteur de la haute justice ou exécuteur des
hautes-oeuvres : bourreau
26 Pour analyser cette article convenablement, il faut le comparer
aux autres peines appliquées en France aux XVIIe et XVIIIe
et en évaluer l’ampleur par rapport aux mutilations
des esclaves : galériens, camisards, etc. Ces peines disparaissent
ensuite alors que la mutilation se maintient dans le système
esclavagiste .
27 Habitant : planteur qui est à la tête d’une
habitation
28 Fermier : Personne chargée de percevoir des revenus
pour le compte du Trésor Royal.
29 Domaine royal : depuis le Moyen-Age, ensemble des terres appartenant
au roi et pour lesquelles il n’a aucun vassal intermédiaire.
En 1674, Colbert rattache les îles des Amériques
à l’Etat.
30 L’impunité des maîtres prévaut dans
la réalité.
31 On sait que cet article n’est pas non plus respecté.
On vend des enfants de 6 ans.
32 Les « garanties » des articles 55 à 57 sont
en réalité assez faibles et ne cesseront d’être
affaiblies par les textes législatifs de la fin du XVIIIe..
33 L’affranchi n’est donc pas l’égal
des autres personnes libres malgré l’ART. 59. En
France, le roturier (c’est à dire l’ignoble)
doit respect au noble. Aux Antilles, la blancheur de la peau tend
à tenir lieu de noblesse dans les rapports entre blancs
et gens de couleur même si un petit blanc ne peut prétendre
à la même considération qu’un habitant..
34 Conseil souverain : assemblée locale de chaque colonie.
De même que les parlements de la métropole, cette
assemblée doit enregistrer les édits royaux cf.
Auguste Lacour, Histoire de la Guadeloupe, Tome I (1635-1789),
Basse-Terre, 1855, p. 178. L’Edit de mars 1685 est enregistré
par le Conseil Souverain de Saint-Domingue le 6 mai 1687.
35 On disait également Gardeloupe, l’origine espagnole
Guadalupe, venant elle même de l’arabe « Oued-el-Aoub
» (rivière de l’amour) était alors mal
comprise.
36 Actuelle île anglophone de Saint-Kitts, colonisée
en 1625 par les Français, 10 ans avant la Guadeloupe.
37 Sceau
38 Louis XIV règne de 1643 à 1715 et gouverne de
1661 à 1715.
39 Secrétaire d’Etat à la Marine, Jean-Baptiste
Colbert (1619-1683) décide en 1681 de rédiger un
code de lois concernant l’esclavage. Ce Code Noir paraît
deux ans après sa mort (1683), signé par Jean-Baptiste
Colbert marquis de Seignelay Seignelay, son fils, qui lui succède
au Secrétariat d’Etat à la Marine. Le Code
est inspiré du mémoire de l’intendant Patoulet
(1682) et de celui du gouverneur Blénac. Le premier représentait
la tendance la plus sévère.
40 Il s’agit de Michel Le Tellier (1603-1685), beau-frère
du grand-père de Colbert, chancelier et membre du Conseil
du Roi, ancien secrétaire d’Etat à la Marine.
Il meurt la même année, après la préparation
de l’Edit de Fontainebleau (1685) qui révoque celui
de Nantes (1598). Il peut également s’agir de son
fils François Michel Le Tellier (1641-1691) marquis de
Louvois Louvois, au Conseil depuis 1672, alors associé
aux décisions importantes.
Source : http://www.tlfq.ulaval.ca